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  • Louise Renard

Angels in America, Théâtre des Martyrs [théâtre]

La pièce fleuve et mythique de Tony Kushner montée par le chorégraphe suisse Philippe Saire se joue aux Martyrs du 6 au 14 décembre. Dans cette version abrégée de la pièce normalement découpée en deux soirées – ou en six épisodes d’une heure comme dans la mini-série de 2003 – il est raconté avec force de métaphores et d’onirisme l’histoire à la fois particulière et sociétale d’un couple gay, de la montée du sida, de l’importance de la religion ou de son refus dans l’Amérique reaganienne.


Kushner ne rend pas la tâche facile aux metteurs en scène qui voudraient monter son œuvre. Il impose que les acteurs aient à jouer plusieurs rôles, il use abondamment de la métaphore et du lyrisme et les personnages vont parfois jusqu’à être caricaturaux. Autant de bâtons dans les roues avant même d’avoir commencé à choisir une direction dans laquelle on voudrait emmener la pièce. Ce sont d’ailleurs peut-être ces mêmes défis qui sont la cause des défauts de ce spectacle. En effet, ici, mis à part quelques rares exceptions – peut-être par volonté de coller à ce lyrisme – le texte est récité, "chanté" même, avec beaucoup d’effets de jeu qui ne sont plus dans la fine caricature de Kushner mais à l’aide de traits grossiers : pour n’en donner qu’un exemple, on pensera au personnage de Harper (Joelle Fontanaz) qui est, dans le texte, une personne dépressive sous valium mais qui, ici, évoque Eric Judor dans La tour Montparnasse infernale.

Côté jeu, il faut souligner la complicité d’un duo en particulier - l’infirmier (Jonathan Axel Gomis) et Roy Cohn (Roland Gervet) – qui fonctionne de manière fluide et cela, grâce aux deux acteurs qui sont d’ailleurs ceux qui se démarquent par leur réelle capacité de transformation au travers des changements de rôles. Leurs scènes se sont installées dans une instantanéité et une sincérité jouissive, et par conséquent naturellement bien rythmées. On entend que les acteurs se parlent et s’écoutent réellement. Je soulignerai aussi la performance de Roland Gervet en général mais particulièrement en Hannah Pitt car malgré l’arrivée du personnage et son costume qui pourrait rapidement devenir burlesque, l’acteur trouve une très belle humanité et une vraie tendresse maternelle.


Enfin, du point de vue des choix de mise en scène, on pourrait s’intéresser aux moments dansés – très présents dans le spectacle – étant donné que Philippe Saire est une figure majeure de la danse contemporaine en Suisse. Cependant, dans mon ressenti, ceux-ci sont lourds, physiquement et théâtralement, et donnent l’effet d’une grande maladresse malgré les mouvements probablement d’une complexité et d’une précision que je ne soupçonne pas. Certes, ces mouvements peuvent représenter métaphoriquement les difficultés des personnages mais ils font aussi buter la narration et ont rendu parfois impossible que le texte parvienne avec toute sa force. Les chorégraphies solos des personnages de Louis (Adrien Barazzone) et de Prior (Pierre-Antoine Dubey) ont été pour moi les seuls moments cathartiques dansés car seuls moments de réelle prise de liberté au travers de la dance ; le reste semble dans l’effort, la confusion et cela particulièrement dans les scènes à quatre personnages où deux duos se croisent et où tous les éléments (texte, chorégraphie, narration) sont devenus pour moi, illisibles.


La scénographie présente, quant à elle, des moments poétiques : comme par exemple avec le voile en plastique pour représenter l’Antarctique rêvée de Harper ou la fumée lourde qui glisse le long d’un mur représentant la porte du paradis. Et ces respirations oniriques sont plus qu’appréciées dans cette scénographique sinon froide et dure, composée majoritairement de grandes parois mobiles qui se déplacent pour scinder les espaces et de quelques éléments de décors relativement neutres : un lit d’hôpital, un canapé-lit, un banc, etc.

Enfin, les travestissements – obligation complexe du texte – sont au mieux incongrus et au pire, au détriment du personnage. Mis à part le personnage de Hannah Pitt que je mentionnais plus tôt, la transformation de Joelle Fontanaz en homme d’affaire avec un costume trop grand et une perruque improbable ne mystifie pas plus le spectateur que celle de Valeria Bertolotto en médecin avec une blouse qui fait penser qu’une petite fille l’a volée à son père. Dans ce pseudo-réalisme, à cheval entre l’irrévérence du travestissement du texte et le ridicule du déguisement que l’on voit sur le plateau, on ne sait, en tant que spectateur, sur quel pied danser. Alors que la dramaturgie utilise les codes du changement de plateau à vue, des scènes simultanées, donc en rappelant au spectateur qu’on est bien au théâtre, le traitement des travestissements invite soit à une absence de distanciation soit à une distanciation telle qu’il est impossible d’entendre le texte au premier degré.


Enfin, presque trente ans se sont écoulés entre l’écriture de la pièce par Kushner et aujourd’hui et il semble que rien n’invite ici le spectateur à un regard neuf sur cette histoire mythique : ni dans la forme scénique, ni dans la direction d’acteur, cette dernière allant au contraire vers quelque chose de plus récité qu’ancré dans quelque forme de réalité que ce soit. Certains moments courts trouvent néanmoins leur efficacité – je pense notamment à la scène visuellement et chorégraphiquement réussie de Dieu et à la scène extrêmement drôle des ancêtres de Prior – mais le tout manque de cohésion, de modernité et, globalement, de concret.


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(c) Photos de Philippe Weissbrodt


Texte
 : Tony Kushner

Jeu
 : Adrien Barazzone,
 Valeria Bertolotto, 
Pierre-Antoine Dubey,
 Joelle Fontannaz, 
Roland Gervet, 
Jonathan Axel Gomis, 
Baptiste Morisod


Chorégraphie et mise en scène : 
Philippe Saire


Assistanat à la mise en scène
 : Chady Abu-Nijmeh


Dramaturgie
 : Carine Corajoud


Lumières 
: Eric Soyer


Création sonore :
 Jérémy Conne


Scénographie : 
Claire Peverelli


Costumes 
: Isa Boucharlat

Direction technique
 : Vincent Scalbert

Régie son :
 Jérémy Conne et Xavier Weissbrodt

Régie lumière
 Alexy Carruba

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