- Louise Renard
Eg er vinden, Ik ben de wind, CAMPO [théâtre]
Les collectifs Discordia et STAN réunissent les deux acteurs Damiaan De Schrijver et Matthias de Koning pour un tête-à-tête sur le texte de Jon Fosse, Je suis le vent. L’un et l’autre nous proposent ce rendez-vous en toute intimité les 9 et 10 septembre dans la salle du centre culturel du CAMPO à Gand au sein de l’édition 2019 du TheaterFestival.
On entre dans la salle où nous attendent De Schrijver et De Koning, assis sur leurs chaises ; le premier fumant son cigare, le second buvant son café. On peut être habitué à ce procédé, aujourd’hui extrêmement commun, d’avoir les acteurs présents sur le plateau durant l’entrée du public mais peut-on jamais être complètement habitué au regard perçant de Damiaan De Schrijver qui vous scrute à travers la fumée de son cigare ? Personnellement, je n’y suis pas encore parvenue. Le plateau est épuré, les murs en briques rouges du CAMPO donnant déjà un décor conséquent à cette petite salle. On peut voir un plancher gris inachevé, les deux chaises des acteurs, quelques bières et bouteilles d’eau au sol ainsi qu’une pomme, une boîte de cigares et un marteau. Derrière eux, une toile horizontale grise et un peu sale mais aussi un colis suspendu par une ficelle.

Le public est assis, un silence s’installe naturellement et enfin, le texte commence. On peut difficilement ne pas penser à En attendant Godot devant ces deux personnages qui prennent soudain cette parole dans le silence sans que le spectateur n’ait les clés, ni du lieu, ni du temps, ni de l’enjeu de ce qui va se dérouler devant lui. On parle vaguement d’une peur qui se serait réalisée, De Schrijver questionne De Koning à ce sujet, ce dernier répondant avec une certaine apathie tragique aux questions concrètes et directes de son interlocuteur. On pourrait penser à un rendez-vous chez le psychologue, De Schrijver étant alors le complice d’un public thérapeutique pour l’acteur qui nous confie ses angoisses, ses dégoûts mais aussi sa solitude.
Petit à petit, on comprend qu’ils sont sur un voilier. Tantôt ils naviguent, tantôt ils s’amarrent pour manger mais aucun mouvement n’est mimé, tout est dans le brouillard gris que décrivent les acteurs, un brouillard aussi métaphorique que le texte de Fosse, la seule fumée présente étant celle du cigare de l’acteur.

L’humour et la complicité qu’installe De Schrijver amènent la lumière nécessaire à cette pièce très courte (55 minutes) où le plateau s’assombrit progressivement, à l'instar du texte. Finalement les voix s’éteignent alors que le récit est à son paroxysme de désespoir, une très faible lumière n’éclairant plus que le bandeau gris derrière eux. Un violon s’est fait entendre depuis quelques minutes sur les dernières phrases parlées et, alors qu’est soudain projetée la scène de Laurel et Hardy du changement de vêtements dans la couchette d’un train de Berth Marks (Laurel et Hardy en wagon-lit), le violon s’emballe pour devenir une musique joyeuse qui pourrait être tout à fait pertinente pour la séquence qui est montrée. La fin du texte de Fosse que l’on vient d’entendre défile sous la séquence et on ne peut s’empêcher de faire le lien d’une part entre ce Laurel toujours un peu tragique et le personnage lunaire et dépressif de De Koning, et d’autre part entre ce Hardy bourru et maladroit et le personnage direct mais jovial de De Schrijver.
Ce spectacle court et tout en finesse est une invitation à un voyage métaphorique. On n’est pas forcément sûr d’avoir tout compris mais on a ressenti quelque chose, et on a été pleinement avec ces merveilleux acteurs tout le long de la représentation.
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Texte : Jon Fosse
Traduction : Maaike Van Rijn, Damiaan De Schrijver, Matthias de Koning
De et Avec : De Schrijver, Matthias de Koning
Production : tg STAN en Maatschappij Discordia
Technique : Tim Wouters
Costumes : Elisabeth Michiels
(c) Photos de Tim Wouters