- Louise Renard
La Mémoire des arbres, TN [théâtre musical]
Pour la rentrée du Théâtre National Wallonie-Bruxelles, Fabrice Murgia ouvre la programmation et signe le troisième volet de son cycle Ghost Road. La mémoire des arbres, en coprésentation avec le KVS, traite en musique et en témoignages video – parfois presqu’en conte – de la catastrophe nucléaire de Kychtym, en Russie.
Avant même d’être entré dans la salle, le spectateur reçoit un mail pour annoncer la présence de casques audio dans le spectacle sans lesquels la compréhension du spectacle est impossible. Alors que l’on entre, l’explication de l’utilisation des casques est diffusée. Le placement est libre, par conséquent le temps de choisir une place, de s’asseoir, de vérifier le casque, de l’essayer,… l’atmosphère de la salle semble déjà plus studieuse et intriguée que l’habituelle effervescence de la Grande Salle.
Le plateau représente l’intérieur d’un appartement : le côté bureau, salon, cuisine, tous très rustiques. Étonnamment, au sein de cet appartement, trône également ce qui semble être un centre de contrôle ou de surveillance d’une usine… ou de ce que nous comprendrons être une centrale nucléaire. Par les fenêtres, on a une vue sur les arbres : ces fameux arbres qui se souviennent mais ne peuvent pas raconter.
Un acteur seul, Josse de Pauw, incarne un survivant aux radiations résultant de l’explosion d’une citerne de déchets nucléaires ; celui-ci a tout perdu tant ses souvenirs, que sa santé, que ses proches à la suite de la catastrophe et cherche les réponses à ses questionnements personnels et politiques à force de raisonner à haute voix, se parlant à lui-même ou à son dictaphone.

Dans les casques est amplifiée la voix de l’acteur mais le spectateur peut également y entendre la musique de Dominique Pauwels qui est présent en live (même si depuis le premier rang, j’ai deviné sa présence plus que je ne l’ai vu). Les superbes enregistrements des Chœurs d’Enfants et de Jeunes de la Monnaie Bruxelles installent une ambiance mystique qui n’est pas sans rappeler un plan séquence épique de début ou fin de guerre ou un panoramique sur un univers post-apocalyptique. Et ces comparaisons semblent pertinentes non pas seulement par le ressenti personnel que j’ai eu de ces musiques mais aussi parce que l’on souhaiterait que ce qui nous est raconté soit tout droit sorti de Mad Max ou de Blade Runner.
Malheureusement, comme le confirme le témoignage de Nadezda Kutepova qui clos le spectacle, on est loin d’un futur dystopique : c’est la réalité d’aujourd’hui, résultant d’une réalité d’hier tenue sous silence.
Les images sont percutantes : les enfants en masque à gaz et veste protectrice, la grande statue de Staline contre laquelle s’insurge l’acteur mais aussi la silhouette de ce dernier, en sous-vêtements, nous montrant le vestige de celui qui a dû être une force de la nature. Certaines trouvailles scénographiques viennent renforcer ces images comme la goutte qui tombe à intervalles réguliers sur la table basse ou les vibrations de l’eau sur cette même table à l’instar du bouillonnement intérieur du personnage.
En conclusion, le spectacle est une expérience contemplative troublante, invitant – à mon sentiment – à une introspection semblable à celle du personnage. Qui sommes-nous face à ces évènements ? Que pouvons-nous faire ? Nous sentons-nous concernés ? Et si l’on voulait éviter ce questionnement, la projection des informations dépourvues de toute mise en scène suivie de l’intervention de Nadezda Kutepova forment un étau très intelligemment construit qui force le spectateur à se regarder dans le miroir et à se poser les questions que pose le spectacle. Naturellement, cet étau est inconfortable mais cet inconfort est un petit prix à payer pour la réflexion que nous offre ce spectacle bien au-delà des portes du théâtre.
Et Nadezda veut dire « Espoir ».
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En coprésentation avec le KVS
Conception, écriture et mise en scène : Fabrice Murgia
Avec : Josse De Pauw, des enfants
Composition, installations et interprétation : Dominique Pauwels
Traduction et assistanat en voyage : Tatiana Mukhamediarova
En collaboration avec : Tatiana Stepanchenko
Assistanat à la traduction et mise en scène : Olya Tsoraeva
Assistanat dramaturgie : Nadezda Kutepova, Cécile Michel
Scénographie et lumière : Giacinto Caponio, Fabrice Murgia
Création vidéo : Giacinto Caponio
Décoratrice : Anne Marcq
Accessoires : Noémie Vanheste
Recherches : Virginie Demilier
Programmeur interface : Quentin Meurisse
Chœur (enregistrement) : Chœurs d’Enfants et de Jeunes de la Monnaie Bruxelles
Chef de chœur (enregistrement) : Aldo Platteau
Exécution musicale (enregistrement) : SPECTRA
Régie son : Brecht Beuselinck
Régie lumière : Virgile Morel, Jannes Dierynck
Régie plateau : Wim Piqueur
Régie plateau (Théâtre National Wallonie-Bruxelles) : Christophe Blacha, Dimitri Wauters
Régie vidéo : Mohammed Sassi
Régie générale (Théâtre National Wallonie-Bruxelles) : Romain Gueudré
Montage vidéo : Dimitri Petrovic
Décor et costumes : Ateliers du Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Photos : Hubert Amiel