- Louise Renard
Les Contes d'Hoffmann, La Monnaie [opéra]
La Monnaie clos l’année 2019 avec Les Contes d’Hoffmann, l’opéra fantastique de Jacques Offenbach, mis en scène par Krzyzstof Warlikowski et dirigé par Alain Altinoglu. Une œuvre tant complexe dans la compréhension du livret que dans les différents niveaux de lectures qu’offre la mise en scène.
Pas de rideau à l’entrée public alors que le plateau est déjà dévoilé : une sorte de boîte au centre du plateau avec un grand écran, deux fauteuils et des mouchoirs au sol. Autour, on devine la complexité de la scénographie avec une arche de scène d’opéra reconstituée dans le fond, ressemblant à s’y méprendre à celle de La Monnaie ainsi que des éléments de décor très détaillés à cour et à jardin. On le verra progressivement au fur et à mesure du spectacle, la grandeur scénographique est un des éléments typiques de Warlikowski et ce spectacle ne manque pas à l’appel – on avait déjà pu le voir dans De la Maison de Morts, à la Monnaie, l’année passée. Dans cette abondance, on aura droit en effet, à un bar d’hôtel doré qui se divise pour pouvoir en faire tourner une partie sur une plateforme ronde automatisée, à une reconstitution de petite salle d’opéra avec ses fauteuils rouges qui a son petit effet miroir sur le public, et à une scénographie en somme très chargée mais aussi très riche, dans tous les sens du terme. Mais à quelle époque sommes-nous ? Le décor mélange les époques avec un bar d'hôtel relativement intemporel, l'arche dorée d'un opéra classique, les micros Shure 55 Unidyne de 1939, les costumes sont pour beaucoup très seventies, certains personnages semblent tout droit sortis du début de l’âge d’or du musical américain (1943-1964) ; et au milieu de tout cela se balade le Joker de Todd Philips datant de 2019 mais qui se déroule en 1981.

Mais c’est dans la narration que la confusion progresse. Qu’est-ce qui est réalité ? Qu’est-ce qui est fiction ? Qu’est-ce qui est cinéma ? Qu’est-ce qui est coulisses ? Au final… qu’est-ce qui est opéra ? Les passages d’intra à extra-diégétiques que nous offre Warlikowski avec ses additions parlées qui viennent momentanément interrompre l’opéra ajoutent encore à la confusion que la complexité du livret avait déjà installée sans cela. Hoffmann est donc un cinéaste amoureux de sa starlette aux multiples visages, tantôt à l’intérieur, tantôt à l’extérieur de l’histoire. Tous les chanteurs cumulent les personnages qui ne sont pas vraiment différenciés physiquement mais qui changent de nom à cause du livret. Le « Diable » comme il est surnommé dans l’oeuvre, interprété avec sublime par Gábor Bretz, doit, en plus de cumuler quatre rôles, se transformer progressivement en Joker. Mais qu’est-ce que le Joker de Todd Philips, touché par des lésions cérébrales et en totale perte de repères, a avoir avec ce personnage multi-facettes en parfait contrôle interprété par Gábor Bretz ? Bien sûr, l’image de trois quart dos au public avec le visage au maquillage mythique légèrement tourné vers nous fonctionne – c’est une des images les plus répandues du film - mais quel rapport, si ce n’est la thématique « cinéma ». Et si ce n’est que ça, quel en est le message, l’objectif ?

Au-delà de cette confusion, les voix sont exceptionnelles. Patricia Petibon cumule, à l’instar de Bretz, quatre rôles et c’est un marathon vocal qu’on ne peut pas négliger – qui trouve son pic d’étrangeté et de performance vocal avec le solo de l’automate Olympia. Eric Cutler est très impressionnant en Hoffmann, tenant ce personnage de cinéaste alcoolique et autodestructeur de bout en bout, que ce soit dans le chant ou dans les moments parlés. Gábor Bretz a une présence qui est indéniable, par la voix et par le corps, et il est parfois un refuge agréable pour le regard qui peut observer sa contenance absolue, simplement assis dans un coin, alors que tout s’agite dans une effervescence épuisante sur le plateau. Enfin, l’humour est présent, non seulement par lui mais aussi par Loïc Félix qui est délicieusement drôle dans le personnage de Cochenille, aspirant chanteur et danseur de claquettes à ses heures perdues.
En conclusion, je reste dubitative de ce que j’ai pu voir et mon cerveau en trop-plein d’images extrêmement chargées. L’opéra est parsemé d’idées très drôles et qui fonctionnent dans leur humour ou dans leur force visuelle mais il n’y a tellement de choses qu’il est difficile de se raccrocher à quoi que ce soit – ni à une trame narrative, ni à un personnage clair, ni à une ligne temporelle.
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(c) Photos de Bernd Uhlig