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  • Louise Renard

Les Damnés, deSingel [théâtre]

Trois ans après sa création à la Cour d’Honneur du Palais des Papes durant la 70ème édition du Festival d’Avignon, le spectacle Les Damnés, mis en scène par Ivo van Hove et interprété par la troupe de la Comédie Française, passe par le Stadschouwburg d’Anvers, programmé par deSingel.


Ayant découvert le spectacle à sa création dans son lieu originel, il est difficile de ne pas voir le spectacle avec un regard comparatif. Peut-être avais-je idéalisé cette mise en scène et ces acteurs ? Peut-être était-ce ce lieu mythique allié à la force du sujet qui m’avait bouleversée ? Quoi qu’il en soit, je ne suis pas sortie avec la même émotion du Stadschouwburg que de la Cour d’Honneur. Mais pourquoi ?


La scénographie reste à peu près la même avec le plateau divisé en trois zones : à jardin les loges, au centre un damier orange et à cour une série de caisses à taille humaine. Les caméras qui projettent leurs prises sur l’écran qui surplombe le plateau nous offrent un zoom sur les acteurs – jusque dans leurs tombes respectives – et sur l’intimité de ce qu’ils traversent. Les « effets spéciaux » propres au spectacle ont eu quelques dysfonctionnements rythmiques mais là encore, la différence n’est pas majeure avec ce que j’avais pu voir à Avignon.

L’histoire non plus n’a pas changé : on suit les magnats de la sidérurgie, la famille von Essenbeck, et leur division puis leur autodestruction face au nazisme grandissant en Allemagne. Herbert Thallman (Loïc Corbery), vice-président des aciéries, qui refuse de se soumettre à l’idéologie montante et qui voit sa cellule familiale imploser en conséquence. Friedrich Bruckmann (Guillaume Gallienne) qui fait une montée fulgurante grâce à son ambition et sa capacité à abandonner toute morale au profit d’un ascenseur social. Wolf von Aschenbach (Éric Génovèse) qui est le parfait S.S. et qui manipule cette famille avec une main de maître. Et entre ces personnages satellites, la famille von Essenbeck elle-même, composée du patriarche Joachim (Didier Sandre), de l’ainé mort au combat, de la veuve de celui-ci, Sophie (Elsa Lepoivre), du cadet Konstantin (Denis Podalydès) et de l’héritier du héros de guerre, Martin (Christophe Montenez).


Mais alors quoi ? Qu’est-ce qui fait que cela ne m’impacte plus ? Que je ne suis plus émue et que même, je m’ennuie ? Après réflexion, c’est le jeu des acteurs qui y est pour beaucoup. Ce que j’avais admiré chez Van Hove il y a trois ans, c’est qu’il avait pris bon nombre des acteurs de la Comédie Française à contre-emploi : Loïc Corbery que l’on voit habituellement en Dom Juan ou en Misanthrope, le voilà père de famille épuisé et détruit, Guillaume Gallienne que l’on a vu jouer Lucrèce Borgia et explorer sa féminité dans Les garçons et Guillaume à table, le voilà mâle sensuel et ambitieux, etc. Mais aujourd’hui, tout ce que le metteur en scène avait installé comme direction d’acteurs semble s’être évaporé : Didier Sandre redonne pleinement son sens à ce qu’on appelle « les temps de sociétaires » avec une pose de trois secondes tous les trois mots au point que le spectateur perd largement le sens de la parole, Adeline d’Hermy est criarde malgré la relative justesse de son jeu, Corbery est touchant mais les rails de ses personnages désabusés se font sentir et Gallienne fait ici davantage penser à Lucrèce Borgia qu’au mâle dominant.


Seul Christophe Montenez se démarque encore et toujours, avec son personnage lunatique, entre enfant et adulte, entre manipulé et manipulateur, entre terrifié et terrifiant. Sa prise de parole reste dans l’instant, au point que tantôt il nous arrache quelques rires, tantôt il nous coupe le souffle. Il joue pleinement et paraît agité par quelque chose d’inexplicable dont le reste de la troupe semble désabusée, blasée.

Evidemment, je garde un malin plaisir à entendre résonner Benzin de Rammstein face à une salle majoritairement constituée de la fleur de la bourgeoisie flamande – pas si loin de la bourgeoisie française qui se retrouve au Festival In d’Avignon. Mais une amertume me reste en bouche de voir le standing ovation qui a fait lever la moitié de la salle à la fin du spectacle. Comme si la question de la complicité par l’inaction à un système de plus en plus dangereux et corrompu que soulève le personnage de Thallman ne les concernait pas, ou si peu.


La sortie de la salle, elle aussi, était symptomatique de la comparaison que j’essaie de dessiner ici : à Avignon, les spectateurs se disputaient, n’étaient pas d’accord, étaient bouleversés en bien ou en mal, alors qu’ici, la réaction semblait – pour ceux qui n’ont pas dormi ou joué sur leur téléphone pendant la majorité du spectacle – polie et aseptisée.


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Mise en scène : Ivo van Hove

Avec la troupe de la Comédie Française

D’après le scénario de Luchino Visconti, Niola Badalucco et Enrico Medioli

Scénographie et lumières : Jan Versweyveld

Costumes : An D’Huys

Vidéo : Tal Yarden

Musique originale et concept sonore : Eric Sleichim

Dramaturgie : Bart Van den Eynde

Assistanat à la mise en scène : Laurent Delvert

Assistanat à la scénographie : Roel Van Berckelaer

Assistanat aux lumières : François Thouret

Assistanat au son : Lucas Lelièvre


(c) Photos de Jan Versweyveld

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