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  • Louise Renard

Les envies sauvages - Riches-Claires [théâtre]

Aux Riches-Claires se jouent du 9 au 25 octobre Les envies sauvages de Céline Scoyer. Le deux acteurs, Sarah Dupré et Thibault Packeu, interprètent Alice et Romain, un couple qui se met volontairement en marge de la société. Une vie amoureuse passée sous la lampe grossissante, mise en scène par Thibaut Nève.


« Urgence au bonheur » et « Urgence climatique »* sont, d’après le metteur en scène Thibaut Nève, les maîtres mots de ce spectacle. Malgré les très belles intentions de ces deux thèmes, je n’ai retrouvé ni l’un ni l’autre dans cette pièce. Pourtant, le descriptif partait bien : un couple qui, pour rompre avec la société, s’isole dans une cabane pendant un an, prétextant à leurs proches un voyage en Asie. Ce qui pose problème de prime abord, c’est l’objectif : pour le personnage de Romain c’est de faire une série de vidéos qu’il sortira sur YouTube une fois l’année terminée et, pour Alice, c’est moins précis car mis à part suivre son compagnon, elle ne semble pas habitée d’une réelle réflexion sur la société qui l’aurait poussée à faire ce choix avec lui. Il y a par conséquent d’une part un objectif superficiel qui s’ancre complètement dans cette société qu’ils cherchent à fuir et d’autre part une absence d’objectif.


Mais admettons, c’est une expérience et non un choix mûri et réfléchi. La littérature, le cinéma et même le théâtre sont jonchés d’assez d’exemples pour montrer que l’intérêt d’une expérience est de découvrir une évolution dans les personnages et/ou dans la situation. Ici, l’expérience part dans l’extrême d’un meurtre dans la première partie, pour revenir ensuite à un quotidien classique de couple, en passant par un vague intérêt pour la relation au froid dans la forêt, avant de revenir à quelque chose d’aussi basique qu’un gage ou vérité (dans l’écriture duquel j'ai d’ailleurs un gros jugement de valeur sur ce qui devrait ou ne pas se dire dans un couple). La femme est soumise, et va accepter volontiers un câlin après une tentative de viol, ainsi que supporter des attaques répétitives sur son infertilité. Les personnages sont d’un instant à l’autre en dents de scie entre la colère poussive et une fausse complicité mais sans le feu d’une relation passionnelle qui aurait pu être réellement malsaine et destructrice.

D’un bout à l’autre, on ne comprend pas pourquoi ce couple est ensemble. Ils ne se respectent pas, n’ont aucune écoute l’un pour l’autre – que ce soient les personnages ou les acteurs d’ailleurs – et semblent bouleversés à chaque nouvelle découverte qu’ils font l’un sur l’autre avant de s’en remettre l'instant d’après. Qu’ont-ils cherché à fuir ? Qu’ont-ils cherché à trouver ? Le meurtre du début du spectacle est mis sous le tapis et ne semble influencer en rien la suite de leur histoire, si ce n’est par un rappel dans le texte de temps en temps. Là où je pensais trouver une plongée dans cette pensée que « l’homme est un loup pour l’homme », j’ai l’impression d’avoir trouvé la fugue dans la cabane du jardin de deux adolescents.


La scénographie quant à elle a des qualités : elle est simple et a le côté brinquebalant d’une cabane abandonnée retapée par deux personnes qui n’ont jamais fait ça de leur vie. Cependant, alors que l’année s’écoule et que le couple se délite, on pourrait s’étonner que la cabane tienne si bien les intempéries. Elle reste d’ailleurs si propre que le lit défait devient un conflit de plusieurs minutes – un conflit qui aurait pu aussi bien se passer dans un appartement de Bruxelles. A part l’isolement, et même lui on l’oublie parfois, rien ne rend leurs conflits spécifiques à leur situation. Ils auraient pu être n’importe où. Au bout d’un an dans une forêt, j’avais une attente, montant durant le spectacle, d’une sauvagerie progressive et animale. Pour être tout à fait juste, un moment où ils en viennent aux mains m’a donné espoir que l’on entre dans une phase de ce genre-là. Mais la fin du spectacle fait retomber cet espoir car au moment où ils décident de se jeter du haut de la falaise pour mourir ensemble, Alice reste sur le bord. On la voit ensuite sur un journal télévisé belge où elle dit qu’elle profite du jet privé du roi Philippe et des hôtels de Thaïlande où Romain est sensé avoir disparu selon ce qu’elle a raconté en regagnant la civilisation. Le but était-il d'en faire une femme vengeresse et soudain calculatrice ? Quoi qu'il en soit, cette conclusion finit de donner à ce personnage féminin tout le creux d’une figure de télé-réalité.

Enfin, c’est cet élément que je reproche le plus au spectacle : l’effet télé-réalité. Tout d’abord, la façon de parler de Romain pour ses vidéos est celle d’un présentateur télé des Anges de la télé-réalité ou des Ch’tis à Mykonos. Même un très mauvais youtubeur a, je crois, une autre sincérité dans sa démarche. De plus, se moquer des youtubeurs pour leur façon de filmer et de parler, c’est plus facile que de se questionner à propos d'en quoi la société a créé cette course à une célébrité à tout prix. Ensuite, dans la situation d’être un public qui regarde l’autodestruction d’un couple dans une cabane, il y a un référent évident à Secret Story, à Big Brother ou encore à Koh Lanta – jusqu’au questionnement que l’on peut avoir en tant que spectateur : « qui survivra à la fin ? ». Les rires des spectateurs pour finir, auxquels je ne me suis malheureusement pas jointe, m’ont rappelé ceux des personnes qui regardent la télé-réalité en disant que « c’est marrant de les voir être aussi cons » ; et c’est malheureusement infiniment naturel de rire de la bêtise et parfois même du malheur des autres. C’est donc par rapport au spectacle que je me questionne, est-ce intéressant d’amener cette situation-là au théâtre ?


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De Céline Scoyer

Avec Sarah Dupré et Thibault Packeu

Mise en scène : Thibaut Nève

Scénographie : Mathieu Delcourt


(c) Photo de Bartolomeo La Punzina


* Thibaut Nève. Théâtrez-moi. Lien : https://www.youtube.com/watch?v=aghRvzDN5jw

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