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  • Louise Renard

Macbeth Underworld, La Monnaie [opéra]

Les époux Macbeth de la pièce éponyme de William Shakespeare s’installent à la Monnaie avec Macbeth Underworld pour sa première mondiale le 20 septembre - musique signée par Pascal Dusapin et mise en scène de Thomas Jolly – et règneront sur leur ténébreux royaume jusqu’au 5 octobre.

L'opéra commence par une apparition évoquant Elisabeth Ière – que je soupçonne avoir été interprétée par Graham Clark qui jouera plus tard le portier – qui semble s'être extraite de l’immense arbre au centre du plateau. Cet arbre, gigantesque et nu, évoque la forme d'un grand brasier. Cependant ce brasier est figé, comme sur le point de disparaître en cendres ; ce qui n’est pas sans rappeler l’ascension brûlante de notre protagoniste qui s’élève par la destruction avant de s’effondrer.

Mais arrêtons-nous déjà sur cette scénographie exceptionnelle. Constituée d'une grande plateforme tournante au sein de laquelle plusieurs autres plateformes se déplacent indépendamment de manière parfois imperceptible, elle donne à cette mise en scène toute la sombre magie qu'on peut lire dans la pièce d'origine. En effet, Shakespeare offre, entre autres, les personnages des trois sorcières prophétiques qui sont présentées ici peut-être davantage comme trois esprits de la forêt (Ekaterina Lekhina, Lilly Jørstad, Christel Loetzsch) multipliées et soutenues par le chœur de femmes de la Monnaie qui arborent des silhouettes semblables ; laissant néanmoins les trois principales reconnaissables par leurs chevelures rousses flamboyantes. Robes éthérées, corporalités animales, elles se déplacent dans les trois structures arborescentes de la scénographie comme si elles étaient nées de ces branchages. Mais la scénographie - qui aurait pu s'arrêter à ces arbres et être déjà extraordinaire - est en constante transformation : l'arbre devient le lit, le château devient le portail, un mur devient un portrait de famille... C'est presque comme si le spectateur avait pénétré dans la plus belle maison hantée ayant jamais existé.


De plus, certaines trouvailles visuelles sont d'une grande efficacité comme les mains blafardes qui sortent des torsions de l’arbre ou de sous le lit des époux – peut-être pour nous rappeler qu’on n’est pas tout à fait à l’abri de tomber complètement dans le film d’horreur (ou dans la maison hantée que je mentionnais plus tôt). Sur ce thème-là, on ne pourra pas s’empêcher – à quelques jours de la sortie de It 2 – de faire le parallèle entre le portier au rire strident et à la voix tranchante (Graham Clark) et le clown Pennywise, personnage de Stephen King à l'origine de la coulrophobie de bien des enfants.

Pour ce qui est de la musique, la composition de Dusapin est complexe, souvent dissonante et cela particulièrement dans les chœurs de femmes. On reçoit avec un certain soulagement les moments de musique celtique jouée à même le plateau, les passages plus mélodieux de la voix d’enfant ou encore les airs de l'archiluth qui s’élèvent parfois seuls ou presque. Les amateurs de musique classique contemporaine seront probablement ravis, mais mes propres connaissances et affinités par rapport à cet univers musical s’arrêtent malheureusement à ces généralités.


Quant au livret de Frédéric Boyer, il laisse avec humilité une très grande place à Shakespeare dont la musicalité des textes n'a désormais plus rien à prouver. L'écriture de Boyer se tisse subtilement parmi les extraits issus de la pièce, dont une phrase, dont je laisserai l'interprétation libre à chacun, mais qui m'a parue particulièrement intéressante au sein d'un opéra comme celui-ci :

“A song made of silence. A song more silent than silence.”

Enfin, penchons nous sur la dramaturgie. Une question reste souvent en suspens dans Macbeth autour de la notion de l’enfant qui n’est pas ou plus là malgré les indices que Lady Macbeth laisse entendre qu’il y en a eu, un jour. Cette question est loin d’être éludée par le duo Dusapin / Jolly car l’enfant est omniprésent, que ce soit dans la musique ou la mise en scène, la thématique de la maternité brisée de Lady Macbeth est assumée et nourrit l’immense solitude qui semble habiter ce personnage.


Pour le reste de l’adaptation théâtre à opéra, elle évite intelligemment les complexes problèmes politiques propres à la pièce. Par exemple, la forêt de Birnam, abritant normalement les guerriers de l’armée de Malcolm (ce qui nous obligerait à savoir qui est Malcolm, Macduff, Duncan, etc.), abrite à présent une armée de nymphes obscures. Ou encore, ce qui dans la distribution est appelé Ghost (Kristinn Sigmundsson) ou Fantôme peut représenter ainsi autant le fantôme de Banquo que celui du Roi d’Ecosse. L’intrigue est largement mais intelligemment simplifiée, en gardant les éléments majeurs : l’écosse, les sorcières, les spectres, les meurtres, les poignards, les taches de sang, etc.


La thématique de la femme et de la sorcière est également beaucoup plus imposante que dans la pièce de Shakespeare, les sorcières n’y apparaissant que périodiquement pour annoncer l’avenir telles les trois moires. Ici, elle est explorée d’une part par la corporalité des chanteuses et des choristes que nous abordions plus tôt ; d’autre part, par la manière dont Lady Macbeth arrache ses tresses en lançant la célèbre réplique « unsex me here », sa sexualité résidant par conséquent dans la longueur de ses cheveux ; mais aussi par l’absence de maternité, tant du côté des sorcières que du côté de Lady Macbeth. Celle-ci semble être une mère avortée qui vit dans le regret de cette maternité interrompue et qui, liant inexorablement amour, sexualité et maternité, s'interdit les deux premiers car elle n'a pas pu obtenir le troisième, questionnant presque maladivement à la fin « suppose we could not love, dear » ; alors que les sorcières vivent pleinement une sensualité détachée de toute maternité.

L’univers de Thomas Jolly est extrêmement riche dans cette mise en scène et il ouvre tant de portes qu’il serait facile de sur-interpréter (comme je l’ai probablement déjà fait ici) tous les signes qu’il offre au spectateur. La musique a probablement une richesse de signes et de sens tout à fait semblable mais je n’ai malheureusement pas les clés pour les lire et les décortiquer comme je peux le faire avec la mise en scène.


On ne peut que conclure que le duo Dusapin / Jolly (voire trio, ajoutons-y tout de même Shakespeare) a réussi avec brio et virtuosité le pari difficile d'adapter une oeuvre théâtrale aussi mythique que Macbeth vers une autre forme de spectacle vivant. L'essence de la pièce est là, simplifiée certes, mais avec une direction artistique claire, une distribution de chanteurs talentueux et une scénographie absolument somptueuse.


A mes yeux, un triomphe.


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Musique : Pascal Dusapin

Livret : Frédéric Boyer

Direction musicale : Alain Altinoglu

Mise en scène : Thomas Jolly

Collaboration à la mise en scène : Alexandre Dain

Décors : Bruno de Lavenère

Éclairages : Antoine Travert

Costumes : Sylvette Dequest

Dramaturgie : Katja Krüger

Chefs des choeurs : Martino Faggiani, Alberto Moro


Lady Macbeth : Magdalena Kožená

Macbeth : Georg Nigl

Three Weird Sisters : Ekaterina Lekhina, Lilly Jørstad, Christel Loetzsch

Ghost : Kristinn Sigmundsson

Porter : Graham Clark

Archiluth : Christian Rivet

Child : Elyne Maillard, Naomi Tapiola


(c) Photos de Baus

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