- Louise Renard
Palmyra, Bert and Nasi - La Manufacture [théâtre performance]
Edition 2021 du Festival Off d’Avignon : Palmyra de la compagnie bertandnasi nous offre un moment hors du commun dans le Château de Saint-Chamand hors des remparts d’Avignon dans le cadre de la programmation de la Manufacture. Les deux acteurs, Bertrand Lesca et Nasi Voutsas créent avec deux chaises et quelques assiettes cassées une métaphore splendide sur la relation oppresseur/opprimé sur fond de situation politique syrienne.
Une scénographie épurée nous accueille quand on entre dans la salle. Deux chaises, l’une au côté d’une assiette brisée, l’autre à côté d’une assiette entière. Commençant par une chorégraphie où Nasi est sur une planche à roulettes, les deux acteurs semblent jouer sur une complicité et une connivence abstraite mais charmante. Puis la parole se met en place, d’abord par la répétition. "Oh my God" et "They’ve properly gone for it." répété ad absurdum devant cette assiette cassée dont Nasi semble vouloir nous faire comprendre la gravité. Ce n’est pas son assiette mais il essaie pourtant de faire entendre, malgré les rires provoqués par le jeu clownesque, que c’est terrible.

C’est alors que Bert demande à emprunter l’assiette de Nasi et comme un enfant, par pure malice ou par frustration que son propre jouet soit cassé, casse celui de son ami. Et c’est à Nasi de nettoyer. La dynamique est lancée. Plus de complicité coquine entre les deux acteurs, c’est le conflit maintenant. Les débris d’assiettes se multiplient pour couvrir le plateau. Et malgré le fait que ce soit Bert qui ait causé la destruction, c’est et ce sera toujours à Nasi de nettoyer.
Alors vient la colère. Nasi s’arme d’un marteau et sans pour autant frapper Bert, la menace suffit à ce que ce dernier confie l’outil à un membre du public, chargé de ne jamais la rendre à Nasi. Le sentiment d’injustice s’approfondit et la question d’armer l’opprimé se pose pour tout un chacun dans la salle. Le personnage de Nasi étant d’autant plus handicapé qu’il ne peut communiquer avec le public qu’en anglais, avec le risque de ne pas être compris ou d’une traduction approximative donnée par un spectateur.

L’opprimé est touchant et désespéré ; et le rire qui ne cesse de dominer la pièce grâce à la virtuosité humoristique (et pas que) des acteurs nous désarme progressivement, nous public, face aux autres émotions qui font leur chemin en nous. Le rire nous a mis à nu et on se cherche dans cette pièce. On veut choisir un camp : ce serait tellement plus simple si on pouvait choisir un camp sans se poser de question.
“I feel like I saw you do this before. Maybe you could try something else.”
Cette phrase assénée vers la fin du spectacle par Nasi à Bert a fini, pour ma part, de me bouleverser et résonne en moi depuis cet instant. Cela, et puis le regard de Nasi, tel le personnage d’une tragédie – ou d’une scène bien trop réelle – au bord du gouffre, qui regarde partir Bert et tend vers lui son index, son majeur et son pouce relevé. « Pfiou. » L’onomatopée soufflée d’un tir avant que Bert ne sorte vers l’extérieur éblouissant avignonnais. L’arme est tournée vers nous, se pointant, sans tirer, vers quelques spectateurs jusqu’à ce que Nasi se lève et finisse par balayer le chaos de ce qui vient de se passer. Sublime chaos comique et tragique à la fois qui me laisse muette alors que les applaudissements éclatent dans la salle.
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© Photos de Alex Brenner
Distribution
Interprètes : Bertrand Lesca, Nasi Voutsas
Dramaturgie : Louise Stephens
Lumière : Jo Palmer