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  • Louise Renard

Phèdre(s) - Théâtre des Martyrs [théâtre]

Avec Phèdre(s), mise en scène par Pauline d’Ollone, au Théâtre des Martyrs, la saison commence par un spectacle pluridisciplinaire et choral. La pièce de Racine portée par une équipe éclectique de parcours divers s’installe dans la grande salle du 21 septembre au 3 octobre.


Un plateau presque nu, les coulisses a vue et les acteurs déjà présents sur scène, voilà ce qu’on peut observer à l’entrée en salle. Les personnages féminins semblent s’échauffer, deux acteurs luttent sous le regard d’un troisième, un moment de flottement ou les bavardages du public fluctuent dans l’attente du début. Pas d’artifice, pas de merveilleux, c’est la dureté du plateau noir, des câbles et des poulies qui nous accueille. Bientôt, la lumière se tamise, Phèdre(s) commence.


Les voix résonnent et remplissent la salle mais très rapidement la musique des alexandrins prend le pas sur l’interprétation : les fins de vers restent ouvertes, les lèvres se débattent avec les mots qui semblent difficiles à prendre en bouche, le texte parvient péniblement. Et au lieu d’être les moteurs et les guides des tsunamis d’émotions que traversent les personnages, ils sont des obstacles contre lesquels on semble buter systématiquement.



En dichotomie de cette diction laborieuse, les danseurs portent une douce naïveté et surtout une immense sincérité à cette tragédie. Pas besoin d’intellectualiser pour sentir la terreur de Panope ou la complicité d’Ismène. Même sur les bords du plateau, leur présence ancre le spectacle dans le sol et nous rend ponctuellement les enjeux accessibles.


Racine a ce talent, dans ses réécritures de tragédies antiques, de ramener des grandes destinées au très intime, de disséquer tout ce qui se passe dans un cœur au moment le plus terrible d’une vie amoureuse, familiale, etc. Ce n’est pas « tel dieu a décidé que » ou « la fatalité fait que » mais bien « je l’aime, que faire ? ». Et c’est la force de l’auteur, de nous livrer l’intimité de personnages qui touchent au monstrueux. Ici, la mise en scène semble hésiter entre l’intime et le monstrueux tout en restant en surface des deux. A un extrême, Thésée n’a qu’une couleur monstrueuse et manque par conséquent cruellement d’humanité alors que de l’autre, Oenone veut toucher à tellement de parts différentes de l’intime que plus rien n’est sincère car tout est effleuré.


Cependant, une mention doit être faite pour l’interprète d’Aricie qui fait un travail d’actrice phénoménal. Tantôt panthère, tantôt amoureuse, elle voyage avec souplesse au travers des corps et des mots. Plus que tout autre interprète, son texte est adressé et sincère, preuve au sein même du spectacle qu’il est possible que le jeu élève le vers et que le vers élève le jeu.


La scénographie possède, elle aussi, des moments de grâce avec un travail fait sur les lumières qui mérite réellement d’être souligné. Les effets de plateau ont leur intérêt mais à nouveau servent particulièrement à la danse et non au texte. L’eau utilisée de manière astucieuse donne à la danse une ampleur et une force élémentaire et par conséquent touchant au côté élémentaire de la mythologie grecque là où pour les acteurs, le « sploutch » des bruits de pas finit de discréditer le roi Thésée une bonne fois pour toutes.



Enfin, du point des vue des choix de mise en scène, la tagline parlant d’exploser la société patriarcale, j’en cherche le sens car au final, les hommes sont plus que victorieux dans cette version. Hippolyte est mort en héros tragique, Thésée vit (dans le regret mais vit) et Phèdre, qui devrait avoir, à peu de chose près, les derniers mots de la pièce se fait étouffer par le nettoyage du plateau et les lumières de la salle qui se rallument. Jusqu’à la fin, la figure féminine est discréditée et le féminisme annoncé du spectacle m’a malheureusement échappé.


De plus, pour revenir au texte une dernière fois, le fait que celui-ci soit entrecoupé d’extraits contemporains n’a pas prouvé son utilité. Tantôt Phèdre lit un texte sur un bout de papier chiffonné, tantôt Théramène se fait étouffer quand il dévie du texte de Racine, qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que Racine ne suffit pas ? Faut-il forcément placer le mot « cul » pour que l’on se sente concerné.e.s ?


Le ressenti final, à posteriori, que j’ai de ce spectacle est que deux projets ont voulu être montés pour qu’au final, aucun des deux n’existe vraiment. Un projet engagé, féministe, aux sonorités et aux corps en mouvements d’inspiration "urbaine" qui a toutes ses raisons propres d’exister, et une pièce de Racine qui ne parle pas de ça mais dont le sujet est l’amour, la jalousie, le deuil. Un rendez-vous de deux mondes qui se sont manqués, peut-être de peu.


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Photos de Gaël Maleux


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