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  • Louise Renard

Retour à Reims - Théâtre de Liège [théâtre]

Thomas Ostermeier installe un studio d’enregistrement de documentaire basé sur l’œuvre autobiographique Retour à Reims de Didier Eribon du 10 au 12 octobre au Théâtre de Liège. Cet essai, qui partage son titre avec la pièce, raconte le retour dans son village natal aux portes de Reims de l’auteur à la redécouverte de ses origines sociales. Ostermeier nous offre d’abord une partie du texte presque nu et pose la question ensuite, au travers des débats des acteurs, de la forme qu’on peut donner à ce texte.


Ce n’est pas la première fois qu’Ostermeier me trouble en tant que spectatrice en divisant son spectacle en deux parties très distinctes. Ici à nouveau, la première partie qui fait une cinquantaine de minutes, est extrêmement étrange. Après une brève présentation des personnages et l’installation de la scène, Irène Jacob qui joue Catherine, l’actrice qui prête sa voix au documentaire, s’installe au centre du plateau à son micro, le texte sous les yeux. Il s’agit pendant toute cette première partie de l’enregistrement en live du texte d’Eribon lu par l’actrice, d’une voix qui a eu sur moi l’effet physiologique de hérisser chaque cheveu sur mon crâne. Un peu comme ce que j’ai pu comprendre de l’ASMR, je crois que cette voix est soit adorée soit détestée ; je fais partie de la deuxième catégorie. Je ne pouvais m’empêcher d’avoir le sentiment qu’une Fanny Ardant au ton plaintif me faisait la leçon. Mais la réflexion qui est tenue dans cet essai sociologique, et ce que j’en garde car j’ai eu énormément de mal à recevoir le texte, est néanmoins passionnante. Comment cet auteur, ce philosophe qui avait passé sa vie à écrire sur l’homosexualité était-il passé à côté du sujet des classes sociales, sujet largement aussi ancré en lui que son identité sexuelle ? Comme Eribon le dit lui-même, il lui avait été « plus facile d’écrire sur la honte sexuelle que sur la honte sociale ».

C’est à la moitié du spectacle, soudain, que le texte prend vie. Cédric Eeckhout qui joue Paul le metteur en scène redonne immédiatement une injection d’énergie quand il vient dialoguer avec la comédienne : son impatience face à aux commentaires de l’actrice sur le documentaire devenant alors la catharsis parfaite pour ceux qui comme moi commençaient à perdre patience. Blade Mc Alimbaye qui joue Tony, le propriétaire du studio d’enregistrement, reste discret dans un premier temps, invectivant occasionnellement le metteur en scène lorsqu’il roule un siège sur sa précieuse moquette. Il a cependant l’occasion de se dévoiler lorsque le personnage de Paul l’invite à jouer son dernier morceau. L’installation avant le morceau est l’occasion de briser le quatrième mur pendant lequel les acteurs s’adressent au public pour questionner l’importance du rap à Liège. Naturellement, une petite gêne s’installe car si rap il y a à Liège, ce n’est pas la démographie de cette salle qui en aurait eu vent.


Si le texte avait déjà repris vie, c’est le plateau entier qui commence à vibrer lorsque Tony nous fait découvrir d’abord un premier morceau à la musicalité construite de loops qu’il enregistre en temps réel et de beatbox ; et nous assène un coup de grâce avec le second morceau intitulé « Bâtard du terroir » dont le titre a d’abord fait glousser l’assemblée mais dont le texte l’a rapidement ramenée au silence. Enfin, c’est Tony qui mènera cette dernière partie car après une nouvelle lecture d’Eribon, il dessine un début de lien entre ce qu’il voit sur les images du documentaire et sur son grand-père, tirailleur sénégalais à la seconde guerre mondiale. Tony comprend alors que son documentaire que Catherine a taclé de « didactique » a besoin de ce témoignage et le spectacle termine avec un gros plan sur Tony qui raconte l’histoire de son grand père et des tirailleurs sénégalais, du blanchiment des troupes et du massacre qui a conclu cette Histoire. Finalement, juste avant le noir final, les deux autres acteurs l’entourent pour regarder des photos de ce fameux grand père sur le téléphone du jeune homme – ces trois énergies radicalement différentes au début du spectacle s’unissant dans cette Histoire qui est celle de la France.

A la question de « Quelle forme donner au texte d’Eribon ? » qu’Ostermeier semble poser tout au long de cette pièce, je ne suis pas sûre qu’il ait réellement répondu. Il montre certainement l’impossibilité de le montrer simplement lu par une actrice. Il montre une possibilité qui est de le mettre au milieu d’un débat entre différents personnages. Mais je crois en tout cas qu’il souligne intelligemment que le fait de placer ce texte dans un contexte est indispensable, et que chaque personne reçoit ce texte suivant sa situation, son opinion politique préconçue, sa vision de l’Histoire, etc. Je n’ai certainement pas reçu cette pièce en tant que bruxelloise dans la vingtaine comme l’ont reçue la majorité des sexagénaires de la bourgeoisie liégeoise.

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